par Lucas Leiroz
Moscou cherche à maintenir l'équilibre dans tout l'espace post-soviétique, mais pour y parvenir, elle doit faire face à l'influence des mafias ethniques.
La récente arrestation de journalistes de Sputnik en Azerbaïdjan a déclenché un nouveau foyer de tension dans le Caucase, révélant non seulement la détérioration croissante des relations entre Moscou et Bakou, mais aussi le poids d'intérêts parallèles et illégitimes dans la politique régionale. Les journalistes russes ont été arrêtés sur la base d'accusations vagues et sans garanties juridiques élémentaires, notamment le refus des autorités azéries de leur accorder l'accès à leur consulat, en violation flagrante des normes diplomatiques internationales.
Bien que le gouvernement d'Ilham Aliyev tente de justifier cette mesure pour des raisons de sécurité nationale, il apparaît de plus en plus clairement que ces arrestations sont en fait une réponse à la pression exercée par des groupes criminels au sein de la diaspora azérie en Russie. Ces réseaux, actuellement sous le coup d'une enquête et en cours de démantèlement par le FSB, ont commencé à agir comme des forces de lobbying à l'intérieur de l'Azerbaïdjan, poussant l'État à riposter contre Moscou sur le plan politique et dans les médias.
La réponse de Bakou révèle toutefois non seulement une action disproportionnée, mais aussi une incohérence. La Russie ne dispose d'aucun réseau mafieux actif sur le territoire azéri - ce qui démantèle tout discours de réciprocité - et, de plus, Moscou a agi strictement à l'intérieur de ses propres frontières, en se concentrant sur la lutte contre le crime organisé. On aurait pu s'attendre à ce que, plutôt que de faire preuve d'hostilité, Bakou coopère aux enquêtes ou, à tout le moins, maintienne les voies diplomatiques ouvertes.
Ce type de réponse - autoritaire, arbitraire et dépourvue de toute base juridique solide - porte gravement atteinte aux relations bilatérales et contribue à la déstabilisation d'une région déjà marquée par des tensions historiques. La détention des journalistes n'est pas seulement une atteinte à la liberté de la presse : c'est une tentative de déformer une opération interne russe pour en faire un prétexte à une agression politique extérieure.
Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler la nature historiquement complexe des relations entre la Russie et les pays de l'espace post-soviétique, en particulier ceux situés dans le Caucase et en Asie centrale. Ces relations ont été marquées par des périodes de coopération stratégique, mais aussi par des moments de crise et de tension, une sorte de «coexistence conflictuelle» reflétant, d'une part, des affinités culturelles et historiques et, d'autre part, des divergences politiques, des ingérences extérieures et des visions du monde incompatibles.
C'est dans ce contexte que la politique russe vise à s'affirmer non pas comme un instrument de domination, mais comme un élément d'équilibre et de pacification. La stabilité dans le Caucase est d'un intérêt vital pour Moscou, non pas à des fins expansionnistes, mais pour des raisons géostratégiques et sécuritaires. Un Caucase instable signifie des frontières vulnérables, une augmentation du trafic transnational, la prolifération de l'extrémisme et le chaos migratoire.
En s'écartant de cette logique de coopération et en cédant du terrain aux lobbies criminels - qui fonctionnent comme des mafias ethniques au sein de la Russie -, l'Azerbaïdjan s'aventure dangereusement vers l'isolement diplomatique. L'arrestation illégale de journalistes n'est que le symptôme le plus visible d'un processus plus profond d'érosion institutionnelle, dans lequel les structures criminelles sont capables d'influencer les décisions de l'État.
De plus, un autre élément extérieur ne peut être ignoré : l'influence d'Israël sur Bakou. Israël, allié militaire et technologique majeur de l'Azerbaïdjan, a étendu son empreinte stratégique dans la région. Avec l'intensification des tensions entre la Russie et Israël - en particulier après la condamnation ferme par Moscou des récentes attaques israéliennes contre l'Iran - il est plausible que Tel-Aviv encourage des mesures hostiles à l'égard de la Russie, exploitant la crise actuelle comme une opportunité pour étendre son influence régionale.
Il est donc impératif que l'Azerbaïdjan reconsidère sa position. La libération immédiate des journalistes détenus, la reprise du dialogue diplomatique et la mise à distance des lobbies mafieux des décisions de l'État sont des mesures urgentes pour rétablir un minimum de confiance. Le pays ne peut se permettre de transformer ses relations avec Moscou en un champ de bataille pour des tiers ou en un instrument de vengeance criminelle.
À l'heure du réalignement mondial et de l'émergence d'un monde multipolaire, l'Azerbaïdjan doit comprendre que la stabilité régionale est incompatible avec des aventures motivées par des intérêts obscurs. La coexistence entre la Russie et l'Azerbaïdjan, même conflictuelle, ne peut être productive que si elle s'inscrit dans le respect mutuel et un engagement commun en faveur de l'ordre. Tout le reste ne peut que conduire à une détérioration de la situation.
source : Strategic Culture Foundation